La tension monte à nouveau entre le Rwanda et la RDC alors que les relations entre les deux pays avaient commencé à se dégeler après l'élection du président congolais Felix Tshisekedi, en 2019. La résurgence des attaques des rebelles du "Mouvement du 23 mars", plus communément appelés M23, provoque des crispations jusqu'à Kigali.
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Les combats entre les forces congolaises et le M23 ont éclaté sur plusieurs fronts cette semaine au Nord-Kivu, une province orientale de la République démocratique du Congo, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Si pour Kigali, il s’agit d’un « conflit intra-congolais », Kinshasa affirme de son côté que le M23, ce groupe principalement composé de Tutsis congolais, est soutenu par le Rwanda voisin.
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"Le génocide des Tutsi joue un rôle clé"
Les relations entre la RDC et le Rwanda peinent à se normaliser depuis l'arrivée massive dans l'est congolais de Hutus rwandais accusés d'avoir massacré des Tutsi lors du génocide rwandais de 1994. "Le génocide des Tutsi joue un rôle clé", confirme à TV5 Monde Christoph Vogel, chercheur à l’Université de Gand, en Belgique, et spécialiste de la RDC. "Les guerres au Congo qui ont suivi 1994, et qui restent en partie nourries par les effets du génocide – notamment l’installation des forces génocidaires à l’est du Congo depuis – sont au centre de nombreux contentieux. Lorsque le Rwanda pointe au caractère inédit et singulier du génocide, notamment l’intention et précision clinique de ce crime total, nombre de Congolais réclament aussi un génocide congolais. (...) Les réclamations congolaises sont vues par Kigali comme une banalisation du génocide qui a eu lieu au Rwanda". Surtout, "les héritiers des génocidaires qui avaient fui en 1994, et qui sont toujours présents dans l’est du Congo, sont considérés comme un danger par le Rwanda", précise Pierre Boisselet, coordonateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet du Groupe d’études sur le Congo (GEC).
L’ancien régime rwandais hutu a été soutenu par le Zaïre de Mobutu Sese Seko, qui a tenu le pays d'une main de fer pendant 32 ans, entre 1965 et 1997. "Lorsque ensuite le Front patriotique rwandais (FPR) a pris le pouvoir en arrêtant le génocide en 1994, de nombreux membres de l’ancien régime génocidaire ont effectivement fui au Congo. Le Rwanda a reproché à ce moment-là à la RDC d’accueillir des génocidaires", reprend Pierre Boisselet.
Pour la RDC, le Rwanda veut garder "une emprise"
Le chercheur rappelle que les tensions ont ensuite continué de monter en 1996-1997. La rébellion menée à l'époque par Laurent-Désiré Kabila, devenu président de la RDC de 1997 jusqu’à son assassinat en janvier 2001, a été fortement soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. "Ils ont renversé Mobutu et pris le pouvoir. Ensuite, Kabila a accusé le Rwanda de vouloir conserver une emprise sur le pouvoir congolais. Les militaires rwandais ont été expulsés du pays", poursuit Pierre Boisselet. "Ce qui a amené à une deuxième guerre qui s’est terminée en 2002-2003. L’accusation à l’égard du Rwanda de vouloir conserver une emprise sur le Congo n’a jamais véritablement cessé".
Le revirement de Laurent-Désiré Kabila a effectivement déclenché la rébellion du RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie, NDLR] en 1998, soutenue par Kigali, détaille Christoph Vogel. "Pendant la guerre qui s’en est suivie, l’armée rwandaise a continué de pourchasser les génocidaires rwandais sur le sol congolais, en commettant des massacres. De son côté, le gouvernement congolais a commencé à utiliser régulièrement les rébellions de l’ALiR (FDLR depuis 2000) comme allié contre le RCD et d’autres groupes soutenus, ou du moins, accusés d’être soutenus, par Kigali – [ALiR, Armée de libération du Rwanda ; FDLR, Forces démocratiques de libération du Rwanda ; ces groupes sont constitués de dissidents hutus opposés au président Paul Kagame et accusés du génocide des Tutsis, NDLR]".
Selon Pierre Boisselet, plusieurs rébellions, et pas seulement le M23, ont été soutenues par le Rwanda, comme le RCD-Goma (le Rassemblement Congolais pour la Démocratie) et le CNDP (le Congrès national pour la défense du peuple).
Aussi Kinshasa accuse régulièrement le Rwanda de mener des incursions sur son territoire. Un incident vient de mettre de l'huile sur le feu. Kigali a affirmé le samedi 28 mai que deux de ses soldats étaient retenus en captivité après leur enlèvement par des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). "La position rwandaise consiste à dire que ces soldats ont été capturés à la frontière. Selon d’autres sources, et notamment l’armée congolaise, ils ont été arrêtés à l’intérieur du territoire congolais. Si c’était confirmé, cela pourrait être une preuve de l’implication de l’armée rwandaise à l’intérieur même du Congo", estime Pierre Boisselet. Aussi, selon le spécialiste, une partie de la classe politique et de l’opinion publique congolaises soupçonne le Rwanda de continuer à exercer de l'influence de par ses liens avec certains militaires au sein même de l’armée congolaise.